mardi 13 juillet 2010

Enfances d'Ecrivaines ... Extrait

"On ne nait pas femme, on le devient ", a dit Simone de Beauvoir... mais de la femme écrivain ? Le répertorier dans l'humanité n'a pas été facile. Il n'a pas suffi que l'humanoïde descende de son arbre protecteur, découvre le feu, l'art, la parole, l'écriture, dans ce sens ou dans un autre. Il a fallu aussi que la femme ait accès à cette écriture et trouve le temps nécessaire pour s'en servir personnellement.
Si l'on matérialise le temps de l'existence passée de la Terre par un cadran de douze heures, l'histoire de l'homme commence à onze heures cinquante cinq. Mais l'écrivaine moderne a entendu sonner plusieurs coups de midi. Il suffit d'ouvrir une simple anthologie scolaire littéraire pour constater qu'il faut beaucoup d'efforts aux femmes et d'inventivité aux éditeurs, pour nous trouver une place minimum.
Antiquité ? Inconnue.
Mille ans de moyen âge ? Marie de Champagne.
Au seizième siècle, nous faisons fort avec Marguerite de Navarre et Louise Labbé, mais nous ne rivalisons pas avec les hommes de la Pléiade ou de la truculence de Rabelais.
Dix-septième? Au théâtre les " Marquises " montrent leurs charmes et seule madame de Sévigné déploie son talent dans des lettres intimes.
Les lumières ? On commence seulement à découvrir l'importance d'Emilie du Châtelet car les Emilie de ce temps là sont d'abord les épouses soumises et ignares des Emile Rousseau.

Au dix-neuvième siècle, c'est la révolution car nous en comptons au moins deux: Madame de Staël et une autre qui doit s'habiller d'un nom d'homme pour éditer : George Sand.
Il faut le reconnaître, à part quelques exceptions, apparitions quasi miraculeuses ou caprice d'aristocrates gâtées par la vie et l'éducation, la femme écrivain est une invention du vingtième siècle. Elle est une conséquence collatérale de la généralisation démocratique de l'école et de la révolution féministe. Quant au terme lui-même, " écrivaine ", il a fallu attendre notre début du vingt et unième siècle pour le voir s'imposer.

Mais alors ? Comment devient-on écrivaine ? Génération spontanée moderne ? Révélation d'un instinct littéraire inné ? Mutation transgénique artistique ? Evolution spirituelle transcendantale ?... Ou plus simplement ne faut-il chercher dans notre petite enfance ( comme pourrait le suggérer un psy, genre psychiatre ou psychanalyste ) cet ensemble de facteurs humains, sociaux, psychologiques, politiques et historiques qui ont décidé certaines d'entre nous à se dire: " Je m'y mets, j'écris "?

Nous sommes toutes nées dans les deux derniers tiers du vingtième siècle, mais nos enfances n'ont pas de points communs apparents entre la ville et la campagne, l'avant ou l'après deuxième guerre mondiale, la pauvreté ou l'aisance, les études avancées ou l'autodidactisme. Plutôt que de nous ennuyer dans une analyse, nous avons choisi de livrer nos premiers souvenirs, laissant le lecteur y retrouver ces pistes droites ou sinueuses qui nous ont guidées devant lui.
La présidente de l'AHME. Annie MASSY

Chrys: Paris, 1944...

Certains destins laissent entrevoir que tout est bien pensé, prévu, tracé d'avance. Un chemin de la vie qui paraît avoir été spécialement mis en place pour vous, restant à la mesure de ce que la nature a décidé pour votre avenir. Un sentier dont le parcours sera, selon le moment venu, jonché d'épines ou de fleurs. En l'occurence et sans vraiment m'en rendre compte, le mien semble m'avoir prédisposée très tôt à ce qui reste aujourd'hui pour moi la plus belle des passions... une bouffée d'air pur, un besoin vital.

Voici que ce jour, pas tout à fait comme les autres, me permettait d'entrer dans l'existence. Une arrivée en fanfare, sans tambour ni trompette mais à grands coups d'éclats de bombes. Celles-ci pleuvaient sur l'hôpital qui devait, à cette date mémorable, recevoir mon humble vie. C'était le 25 août 1944, date à laquelle résistants et alliés faisaient libérer Paris. Quelques bâtiments furent épargnés, notamment celui qui m'accueillait...

Patriote, elle naquit
En plein coeur de l'histoire,
Quand la ville entreprit
D'exulter sa victoire.

Sous les bombardements,
Elle parut à sa mère,
Dans la fièvre des temps
De guerre et de misère.

Après cinq années d'occupation, les parisiens manquaient de tout et tentaient tant bien que mal de se rétablir. En cette période difficile d'après-guerre, il était difficile de se loger et dans leur nouveau rôle de parents, mes géniteurs ne purent que réintégrer la chambre d'hôtel louée au coeur de Paris, avec une charge en plus sur les bras. Il fut décidé qu'un seul enfant serait accueilli au sein du couple. C'est donc en fille unique, entourée de mes seuls parents que je grandis.

Un hôtel sans confort,
De l'eau sur le palier,
Ils ont bravé le sort
Jusqu'à s'en délivrer.

Il existe deux sortes d'enfant unique. Il y a celui dont le moindre voeu gardera le pouvoir d'être exaucé. Et puis, il y a l'autre, non moins aimé ( de cela je suis certaine ), mais qui se doit de paraître exemplaire au regard de l'entourage. A ce dernier, l'on demandera d'être un modèle de sagesse et d'obéissance. Cet enfant là se doit d'être né pour faire l'orgueil de ses parents. Je ne sais si réussi à combler le voeu que ces derniers avaient formulé à ma naissance, toujours est-il que dès mon entrée dans la vie, je dus marcher comme on me le demandait, c'est à dire... à la baguette. Mon père avait la main leste et trapue.

L'époque voulait que la plupart des enfants soient élevés de cette façon, mais l'hyper sensibilité qui me torturait me le faisait vivre très mal. L'émotivité qui se dégageait de moi me faisait porter le poids de toutes les culpabilités du monde. Chaque brimade me désarmait. Que l'on me punisse pour quelque futilité et le ciel me tombait sur la tête... un mal bien plus moral que physique... les adultes ne représentent-ils pas la sagesse? Ne savent-ils pas faire la distinction entre le bien et le mal ? Je ne me posais nullement la question de savoir si j'avais mérité le châtiment, j'en étais convaincue.

Je ne garde aucune séquelle de cette période et c'est même peut-être pour m'avoir infligé cette austérité qui arme devant la vie que j'aime autant mon père et ma mère. Ne m'ont-ils pas mise au monde ? Après tout, vivre n'est pas si atroce! il y a tant de belles choses à savourer autour de ce qui l'est moins.

Bien qu'elle m'ait fait souffrir; l'éducation rigide qui me fut infligée sut m'apporter quelque chose de bénéfique. Je pense sincèrement que la souffrance n'est jamais gratuite, elle vous prédispose à vivre des jours meilleurs. Non, je ne suis pas masochiste, je constate. En l'occurence, les circonstances placées sur mon chemin modelaient jour après jour la voie qui m'était destinée.

Très tôt je me réfugiais dans la douce euphorie du rêve. Je m'inventais une autre vie. C'est ainsi que mon esprit se projetait au centre d'une histoire inventée de toutes pièces. Un conte, parsemé de décors féeriques et dans lequel je me laissais bercer, hors du temps et loin de toute réalité. Cela pouvait se passer à n'importe quelle heure de la journée, mais les souvenirs les plus ancrés restent malgré tout, les images complaisantes que je m'offrais le soir, juste avant de m'endormir. Là, je fermais les yeux et m'inventais mille histoires, espèrant prolonger celles-ci jusque dans mes nuits les plus profondes. Etait-ce seulement dû à ce que je vivais, ou bien était-ce un état lié à mes propres gènes ?

Extrait du chapitre - Sur le chemin de la destinée - Chrys : Paris, 1944 ...